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Stuart Maconie (Q) : "Ágætis Byrjun" (4/5)
Présent depuis plus d'un an dans les charts islandais, ce disque est l'un des plus attendus par les connaisseurs. Une attente telle qu'on n'en avait pas vue depuis des années. La raison principale en est le single sorti en 1999, "Svefn-g-englar", un morceau d'une beauté austère et grandiose, évoluant à la vitesse du froid, et qu'on pourrait décrire, sans une once d'exagération, comme le dernier grand disque du millénaire. Le deuxième véritable album de Sigur Rós met en avant cet incroyable morceau et dix autres qui, bien qu'étonnamment divers, renvoient tous à un penchant pour une certaine sérénité apocalyptique, pour les guitares saturées, et pour l'hopelandish, langue propre au jeune chanteur Jónsi Birgisson. L'attitude et la manière "rock" mise à part, ce groupe semble appartenir tout autant au 8ème siècle qu'au 21ème.
Stevie Chick (NME) : "Ágætis Byrjun" (7/10)
Tout comme les disciples du speed garage, qui vont en pèlerinage à Aiya Napa pour se procurer leur drogue sonore favorite, les aficionados du space-rock devraient peut-être se rendre en Islande car, malgré le caractère nébuleux, difficile et clairement anticommercial de leur musique, les membres de Sigur Rós, originaires de Reykjavík, n'ont eu aucun mal à s'imposer dans les charts albums et singles islandais. Le second album de Sigur Rós, dont le titre signifie en gros "Un Nouveau Départ", va plus loin encore, et on y retrouve le penchant du groupe pour la beauté non-narrative, les ondes sonores non-identifiées, les échos de vibraphone, et le chant étheré du guitariste Jónsi (chant qui s'apparente plus à un instrument fantômatique qu'à une vraie voix conventionnelle, et est porté par le langage fictif de Jónsi, l'hopelandish). Tous ces ingrédients contribuent à créer une musique élégante et grandiose, à la fois relaxante et épique. A la première écoute, l'album rappelle de nombreux maîtres des rêveries rocks narcotiques: Les passages de guitare en dents de scie sur "Svefn-g-englar" font écho aux premiers essais de "Bardo Pond", tandis que "Starálfur", avec ses cordes soupirantes et sa psychédélie latente, retrouve la beauté bilieuse de "Mercury Rev", époque "Deserter's Songs" et avant. Ailleurs, le sens intuitif de la dynamique que Sigur Rós exhibe suggère la comparaison avec "Mogwai", tandis que le drame dronesque de "Hjartað Hamast" penche du côté de l'emphase des derniers "Spiritualized". Mais la musique de Sigur Rós ne se résume pas facilement à une B.O. d'une escapade dans les paradis artificiels. Il réside dans leur chansons une profondeur, une véritable étendue palpable, ainsi qu'un sourd respect. On dirait de la musique d'église, mais en évitant cependant l'écueil du nombrilisme sonore pour favoriser un aspect grandiose aussi extravagant que le Sacré-Coeur. Et aussi impressionnant que celà soit, celà rend "Ágætis Byrjun" quelque peu impénétrable. Il faut admirer ce disque, mais on n'y trouve que peu de choses véritablement humaines, et rien à vraiment aimer. Ceci ne doit cependant pas cacher l'idée étonnante et la musique envoûtante de cet album. Même si on le voit mal leur ouvrir les portes du succès populaire auquel ils sont habitués, "Ágætis Byrjun" vaudra à Sigur Rós quelques disciples dévoués.
Brent Dicrescenzo (Pitchfork Media) : "Ágætis Byrjun" (9.4/10)
Les contes islandais parlent des êtres qui se cachent dans les roches et la lave des montagnes. Descendants de l'esprit gardien ancestral, ils se présentent sous plusieurs formes. Les minuscules "blómaálfar" habitent dans les fleurs en boutons, tandis que les "búaálfar" vivent dans les fermes. Pourtant, à l'âge des téléphones mobiles et des hélicoptères, les islandais continuent à croire que les êtres cachés sont là, quelque part, en habits d'époque. Les ouvriers vont même jusqu'à détourner des routes pour éviter les endroits où, dit-on, ils habitent. Comment un peuple moderne peut-il accorder foi à ces légendes ? Une bonne dose de mythologie nordique et un paysage à couper le souffle apportent une grande partie de la réponse. Et la musique des autochtones de Sigur Rós ne peut que venir perpétuer la religion.
L'album s'ouvre sur une immersion. Dans l'écho des sonars, un feedback liquide, presque imperceptible en soi, vous écrase comme l'immensité de l'océan. Bientôt, un orgue de cathédrale se met à gémir. Les balais frottent la batterie jusqu'à la noyade. Un archet de violon scie en deux la masse d'une guitare, faisant jaillir le son comme un nuage de sang. Une sirène, Jón þór Birgisson chante par tous ses orifices - dont probablement ses ouïes - créant ainsi la voix la plus inhumaine que le rock ait entendue (bien que Skywalker Sound puisse probablement en faire une approximation en mélangeant des baleines, Jeremy Enigk, des chérubins, Björk, et l'extraterrestre bleue du "Cinquième Elément"). Le morceau s'achève dans un battement de coeur de plus en plus rapide, jusqu'aux palpitations. Le son s'éteint. Vous êtes mort.
Une section de cordes naissante annonce le passage de "Svefn-g-englar" à "Starálfur". Les instruments de chambre virevoltent autour d'une batterie squelettique et d'une basse sépulchrale. Cette musique prend ses marques autant dans le répertoire classique que dans celui de Radiohead, comme si Orff composait "Carmina Burana" pour un e-bow au zéro absolu. La chanson se fragmente en interludes acoustiques où la voix de Birgisson gèle vos enceintes. Et pourtant, comme Icare, l'album vous emmène toujours plus haut (ou plus profond, c'est selon).
"Ný Batterí" commence avec un assemblage disjoint de cuivres, qui se dilue dans des tourbillons de sifflements chromés et de basse apaisante. Finalement, la chanson explose en couches multiples de batterie crissante. De subtiles "bebop drums" et le piano Rhodes de Kjartan Sveinsson soulèvent la poussière sur "Hjartað Hamast" pendant que Birgisson se frotte les yeux de sommeil. "Olsen Olsen" est de ces morceaux qui vous broient une âme, et c'est tout simplement le plus beau. Ce chef d'oeuvre elfique dévoile l'académisme froid du "troll-rock" de "Mogwai".
Décrire cette musique comme "post-rock" serait une insulte. Sigur Rós représente le pré-quoi-que-ce-soit-qui-vienne-au-siècle-prochain. Piano, tremolo, cuivres, feedback, et cette voix divinement magique qui touche les âmes comme le sable volcanique noir des plages de Vík. Le langage inventé par Birgisson pour ses textes, l'hopelandish, peut bien être une façon de dire des choses magiques et terribles ou juste n'importe quoi, les émotions pures qu'il produit lavent aussi sûrement que le sulfate de sodium.
Sigur Rós fait sur son site cette déclaration triomphante: "Nous allons tout simplement changer la musique pour toujours, et la façon dont les gens l'abordent, et ne croyez pas que nous ne puissions le faire, parce que nous allons le faire". Le fait qu'ils aient réssi aussi brillamment en Islande avec cet album, cette âme spectaculairement orchestrée, témoigne en faveur du pouvoir et de la crédibilité des autochtones. La créature alien-ange-foetus argentée qui orne la pochette représente le logo idéal. Sigur Rós fait, sans effort apparent, une musique massive, glaciale, et rare. Ce sont eux, les êtres cachés. Des enfants seront conçus, des poignets tranchés, des blessures refermées et des larmes versées par la force de ce groupe. Ils sont le premier groupe essentiel du 21ème siècle.
Andy Greenwald (SPIN) : "Svefn-G-Englar"
De temps en temps, un groupe émerge que la presse musicale anglaise décrit comme "le son de Dieu pleurant des larmes d'or au ciel". De tels groupes sont en général originaires de Belgique, ou, à tout le moins, Chicago, et bien souvent ces groupes finissent par sonner comme les "Cocteau Twins" joués à la mauvaise vitesse. Dommage. Ah, mais pas cette fois-ci. Sigur Rós est un quatuor islandais, et ils font de la belle, très belle musique. Cette musique est si glaciale, envahissante, dramatique et envoûtante que oui, en quelque sorte on dirait le son de Dieu pleurant des larmes d'or au ciel, ou au moins Dieu pleurant des larmes d'or en Islande (très différent du son de Dieu pleurant des larmes d'or parce qu'il est en Islande). Leur musique embrasse tout sur son passage, et si elle est en quelque sorte instrumentale, elle le doit à la voix unique du chanteur/guitariste Jónsi. Son falsetto perçant, qui se lamente étrangement entre l'islandais et l'anglais, ressemble à une fillette de douze ans enfermée dans le permafrost. Régulièrement numéros un à Reykjavík, les membres de Sigur Rós voient seulement maintenant leur première sortie en Angleterre, avec le single "Svefn-g-englar" sur le label "Fat Cat Records", alors que leur dernier album devrait sortir début 2000. Allez voir leur site web à www.sigur-ros.com, sur lequel ils proclament des choses comme: "Nous ne sommes pas un groupe, nous sommes la musique. Nous ne voulons pas êtres des superstars ou des millionnaires, nous allons tout simplement changer la musique pour toujours, et la façon dont les gens l'abordent, et ne croyez pas que nous ne puissions le faire, parce que nous allons le faire". Et pourquoi pas ? Alors écoutez-les. Et apprenez ce que c'est que de recevoir les larmes de Dieu. Si vous croyez à ce genre de choses, bien entendu.
Iain Moffat (Playlouder) : "Ágætis Byrjun"
Typique. On attend des années qu'un album en langue étrangère vienne changer votre vie, et il en arrive deux en même temps. Mais si "Mwng" des "Super Flurries" se plaisait dans la terrestrialité, "Ágætis Byrjun" sonne comme une communication venue d'une autre planète.
Il n'est pas strictement en islandais, bien entendu, de même que les chansons des "Cocteau Twins" (point de référence évident, mais avec lequel ils peuvent rivaliser, ce qui est rare) ne sont pas vraiment en anglais, mais puisque les plaintes étonnantes et presque impénétrables du leader Jónsi Birgisson font de la voix de Charlotte Church celle de Satan, la notion même de vocabulaire est superflue tout au long du disque. Et encore, Sigur Rós ne se limite en aucun cas à Cette Voix. Cet album démontre leur talent suprême de voyageurs, trempant pianos et violons dans des chaudrons de miel, et produisant sans honte aucune des joyaux de tristesse qui passeront sans difficulté pour la musique classsique du 21ème siècle. "Ný Batterí" et le déjà culte "Svefn-g-englar" se révèlent incroyablement peu aptes à leur statut d'introduction, bien qu'ils nous aient réjouis par leur longueur et leur ambition, car des morceaux comme "Starálfur" ou "Viðrar Vel Til Loftárása" atteignent des sommets encore plus élevés. Il n'est pas étonnant de trouver en Radiohead des "Sigurettes" aussi dévouées.
C'est fou, mais les islandais ont offert à cet album la reconnaissance des charts que nous, britanniques, réservons en général à des Shania Twain. Je me demande quelles sont leurs lois sur l'immigration...
Stéphane Davet (Le Monde Interactif) : "Ágætis Byrjun"
Par l'entremise de Björk, Thom Yorke, chanteur de Radiohead, s'est entiché de ces Islandais au point de leur proposer de jouer en première partie de son groupe. On imagine que le chanteur anglais, dans sa quête actuelle d'un au-delà du rock, a été sonné par le lyrisme atypique de Sigur Rós. Comme aux grandes heures - les années 70 - des musiques planantes, les morceaux de ce troisième album (le premier disponible en France) s'étirent avec une lenteur contemplative. Mais à la béatitude intersidérale, le groupe préfère des mélopées hantées par d'étranges sortilèges. Frappée par un archet ou une main engourdie, accompagnée de cordes lancinantes, la guitare résonne comme une corne viking dans la brume d'un fjord.
Ollie Wright (The Derby Culture) : "Ágætis Byrjun"
Ils sont intenses. Ils ont accès aux immenses ressources sonores des guitares, et la capacité de les maîtriser pour en faire des chansons - des chansons non conventionnelles, certes, mais des chansons quand même. Sur "Svefn-g-englar", leur premier EP au Royaume-Uni, ils ont produit ce qui deviendra sûrement un classique. Certains les appellent "post-rock", d'autres "Slo-fi". Des imbéciles les traiteraient de nombrilistes, mais nous ferons comme s'ils n'existaient pas.
Et si Sigur Rós excelle dans l'art de la morosité douce d'un space-rock épique qui leur a si bien souri, ils laissent des indices nombreux des autres pistes qu'ils explorent, en particulier sur "Starálfur", aux cordes apaisantes et aux fines couches de piano. Voilà un morceau particulièrement impressionnant, soulignant les vocaux presque déstabilisés, naïfs et touchants qui donnent sa force à ce disque.
Le langage impénétrable inventé par le chanteur interdit toute tentative de décryptage des textes de Sigur Rós, de sorte que la seule option possible consiste à se laisser emporter par la musique, et de lui donner le sens que vous souhaitez y voir, ce qui, sans doute, est le but recherché.
Un territoire plus vaste est exploré sur des morceaux tels que le deuxième single, "Ný Batterí", ou "Olsen Olsen", qui devraient tous deux ravir les fans de "Mogwai" ou des "Cocteau Twins", et malgré l'apport d'instruments extérieurs, ce disque est centré sur l'art de jouer de la guitare avec un archet de violon et de chanter à s'en déchirer le coeur. Ce n'est pas mal, et il y a suffisamment d'esprit, d'invention et de potentiel pour voir là des débuts encourageants.